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Tuesday, May 21, 2013

Quand la solidarité soigne les maux de la crise


Le dispensaire social d’Hellinikon, en banlieue d’Athènes, accueille depuis plus de deux ans les patients qui n’ont plus les moyens d’accéder à des soins médicaux. Reportage au sein d’une structure entièrement gérée par des bénévoles.
Le Dr. Giogos Vichas est cardiologue dans un hôpital public et responsable du dispensaire social d’Ellinikon à Athènes. (photo CFJ/A.D)
Le Dr. Giogos Vichas est cardiologue dans un hôpital public et responsable du dispensaire social d’Hellinikon.     (photo CFJ/A.D.)
À une demi-heure en bus du centre d’Athènes, dans l’enceinte d’une ancienne base miliaire américaine, se trouve le dispensaire social d’Hellinikon. Un bâtiment de plain pied, entouré de grillages et avec des barreaux aux fenêtres. La première pièce sert de salle d’attente. Trois sièges pour une dizaine de personnes. Le dispensaire est ouvert de 10 à 20 heures, cinq jours sur sept et le samedi matin. Près de deux cents bénévoles, dont une centaine de médecins, s’y relaient pour offrir des soins et des médicaments à ceux qui n’ont plus les moyens de se rendre dans les hôpitaux publics.
« Quand tu vois le tsunami qui vient vers toi, il ne faut pas attendre la catastrophe, il faut lutter », philosophe Kostis Kalafatis, professeur de grec à la retraite et bénévole au dispensaire. Avec la crise et les plans d’austérité imposés par la Troïka (Fonds monétaire international, Commission européenne et Banque centrale européenne), les coupes budgétaires ont concerné tous les secteurs, et la santé n’a pas été épargnée. Depuis 2009, un ensemble de mesure ont été prises pour réduire les dépenses publiques de 32%. L’une d’elles concerne les chômeurs de longue durée : après un an sans emploi, leur couverture sociale cesse. Près de 40% des Grecs n’auraient plus d’assurance maladie. « Ces gens qui ont déjà du mal à vivre au quotidien doivent payer la totalité de leurs dépenses de santé », s’indigne Kostis Kalafatis.
«Le gouvernement est en train de jouer avec la santé des Grecs»
De fait, la clinique, créée en décembre 2011, sous l’impulsion du docteur Vichas et avec le soutien de la municipalité d’Hellinikon, connaît un succès croissant. « En tant que docteur, je me sens en colère, le gouvernement est en train de jouer avec la santé des Grecs, s’inquiète le praticien. Les patients qui arrivent ici sont parfois désespérés, nous leur redonnons de l’espoir. » Il y a quelques mois encore, la clinique recevait uniquement les patients sans couverture sociale. Aujourd’hui, ceux qui ont encore une sécurité sociale mais qui n’ont pas les moyens de payer le ticket modérateur ont aussi recours au centre d’Hellinikon. À 25 euros la consultation, ils sont de plus en plus nombreux. A ses débuts, le dispensaire accueillait 150 personnes par mois. Il en accueille à présent 1500, soit une centaine par jour.
« Certains viennent même de très loin. Nous avons des patients qui habitent les îles en face du Pirée et mettent plus d’une heure et demie pour venir jusqu’ici », assure Eleni Gerakari, bénévole à la clinique depuis quelques mois. Et pourtant, s’il est l’un des premiers, le dispensaire d’Hellinikon n’est pas le seul à Athènes à offrir des soins gratuitement. Cette initiative se répand et plus d’une dizaine d’endroits accueillent désormais ceux qui, sans ça, resteraient en marge du système de santé. Certains sont gérés par des ONG, notamment Médecins du monde, d’autres par l’Eglise, d’autre encore, comme à Hellinikon, sont le fruit d’initiatives individuelles.
« Nous fonctionnons de manière totalement indépendante », indique Eleni Gerakari. Si la mairie met le bâtiment à disposition et règle les factures d’électricité, tous les médicaments distribués proviennent de dons. Ceux qui cessent un traitement et à qui il reste des médicaments sont invités à les donner à la clinique. « Nous n’acceptons pas d’argent, parce que ça cause souvent des problèmes », explique Kostis Kalafatis dans un sourire. Et pour des besoins particulier, les bénévoles du dispensaire utilisent les réseaux sociaux. Il y a quelques jours, un message a été envoyé sur Facebook pour demander de boites de lait en poudre pour nourrissons. Eleni montre avec un large sourire trois étagères qui en sont pleines.
Dans de rares cas, les laboratoires donnent des lots de médicaments. « Mais ça, c’est plutôt louche », lâche Kostis Kalafatis en revenant sur le don récent d’un laboratoire anglais basé en Grèce. « Ils nous ont donné 500 boîtes d’une crème, commente-t-il en détachant bien les syllabes pour insister sur le chiffre démesuré. Mais elles périmaient toutes dans les deux mois. » Excellentes retombées en termes d’image, pas de frais de destruction des crèmes restantes et déduction fiscale pour don caritatif, Kostis voit là trois bonnes raisons pour expliquer la générosité de ce laboratoire.
«Une femme enceinte de sept mois n’avait toujours pas vu de médecin !» 
Les médecins bénévoles du dispensaire d’Hellinikon sont en mesure d’offrir des consultations et des soins primaires dans toutes les spécialités. Aucune intervention lourde, ou qui nécessite une hospitalisation de plusieurs jours, n’est cependant possible. Dans les cas les plus extrêmes, l’équipe du Dr Vichas tente de convaincre les cliniques privées de recevoir gratuitement leurs patients. « Il y a quelques mois est venue une femme, enceinte de sept mois qui n’avait toujours pas vu de médecin ! Elle a été suivie par un gynécologue du dispensaire et l’accouchement a pu se faire dans une clinique privée », se souvient Eleni Gerakari. Les hôpitaux publics, eux, acceptent beaucoup plus rarement : une loi leur interdit désormais de soigner ceux qui n’ont pas de couverture sociale ou qui n’ont pas les moyens de payer leur hospitalisation. D’autant que les hôpitaux publics sont déjà surchargés et qu’une réforme prévoit de faire passer leur nombre de 130 à 80 dans le pays.
Assise à un bureau encombré, entre la salle qui sert de pharmacie et le cabinet du Dr Vichas, Vrisiis Souli trie les boîtes de médicaments que la clinique reçoit. Au feutre vert, elle note sur l’emballage le nombre de comprimé restant et la date de péremption. La tâche semble fastidieuse, mais la bonne humeur de Vrisiis est à toute épreuve. « J’ai eu un accident assez grave, il y a deux ans. Quand j’ai commencé à aller mieux, je me suis dit qu’il fallait que j’aide ceux qui pourraient être dans la même situation que moi », explique-t-elle en affichant un large sourire.
Cette attitude enthousiaste semble d’ailleurs caractériser tout ceux qui donnent de leur temps pour travailler au dispensaire d’Hellinikon. « C’est parfois dur, mais je suis très satisfait du travail que l’on fait ici, conclut Kostis Kalafatis. La solidarité était une valeur oubliée, on l’a retrouvée avec la crise. » 
 Adèle DESACHY et Fanny NAPOLIER